Biennale couv-2011

Roberto Martinez et UN NOUS répondent aux questionnaire de la Biennale de Lyon :


Dans le projet collectif « UN NOUS », chaque participant développe, dans sa pratique, un travail personnel avec différents médiums et différents supports.
En équipe, il n’y a pas de techniques privilégiées, ni la recherche d’un style UN NOUS.
Nous essayons de donner une forme aux questions sur l’art traversées par le social, le politique, l’en-commun. Nous nous interrogeons sur la présence, le caractère accessible et la visibilité de l’art dans et hors des lieux dédiés à l’exposition. Mais au-delà des différents modes d’expression plastiques, UN NOUS trouve son unité dans l’espace urbain avec un art libre et public, sous la forme d’affichages éphémères et anonymes. La rue est perçue comme un champ d’expérimentation.
En participant à la Biennale à la fois dans les espaces dédiés à l’art (la Sucrière et le MAC) mais aussi en intervenant dans l’espace urbain de façon libre, mous affirmons notre singularité et notre positionnement à la fois à l’intérieur et en périphérie du monde de l’art.

Est-il question de forme dans votre travail ?

Oui, pour l’installation à la sucrière, une question se posait à nous. Pour évoquer la notion d’utopie urbaine, avec des éléments de maquettes d’architecture et des objets quotidiens, jouer sur la notion d’échelle tant physique que psychologique.Nous avons choisit de construire, un contenant sous la forme d’un volume fermé (référant à une cellule d’habitation) avec des ouvertures rectangulaires (vitrées de couleurs primaires et secondaires référents autant à Le Corbusier qu’à Mondrian).
Cette idée d’un volume « lisible » de loin comme une cellule puis de plus près comme une sculpture et enfin de près comme une proposition sonore, lumineuse à différents points de vue sur une ville utopique. Une forme donc pour résoudre la question du formel et du conceptuel.

Quel lien entre éphémère et durée dans votre œuvre ?

Pour nos interventions urbaines, collages, distribution de tracts, nous choisissons des lieux qui n’ont rien d’artistique mais qui nous semblent propice à la mise en valeur de la proposition plastique. Pour les collages : un grand mur en périphérie, des vitrines en centre ville peuvent accueillir une grande composition d’affiches comme une grande fresque, ou bien seulement une ou deux affiches centrées et rendues ainsi très lisible.
Nous devons rendre visible. Une distribution de tracts à la sortie d'une bouche de métro, ou de grands magasins, c'est aussi très visible. En ce qui concerne la nature de la rencontre entre l'œuvre et un public potentiel non spécialiste, cela ne nous semble pas très important qu'il y ait identification d’une œuvre d'art. Il y a un accident de parcours. Quelque chose qui n'était pas là, qui n'a pas de raison d'être là. Mais il y a une forme. Quelque chose d'identifiable, même si c’est davantage de l'ordre du questionnement. Evidemment, la réponse n’est pas donnée. Il y a seulement quelque chose qui peut paraître inhabituel et qui, si on creuse un peu, peut être perçue comme une forme artistique et non publicitaire et le temps de « lecture » ne nous appartient pas.
Toutes ces interventions sont vouées à être éphémères. Les affiches peuvent être arrachées, recouvertes, les tracts jetés… mais cela a existé par le regard et le questionnement proposé même si la durée est courte. Cette durée dépend autant de la stratégie (lieux choisies, accessibilité, pour les collages) que de la répétition, ainsi que part l’engagement et la conviction pour les actions urbaines (distributions de tracts…)

Peut-on échapper à l’institutionnalisation de l’art (ce terme n’est-il pas déjà l’expression d’une tautologie) ?

"Ne pouvant empêcher que certaines choses se produisent, on trouve la paix en fabriquant des étagères où on peut les ranger." Pier Paolo Pasolini
En tant qu’artiste nous aimerions répondre oui et notamment avec les allotopies (voir pièce-jointe). Si l’on prend des exemples comme les interventions de Beuys balayant la Place Karl Marx, Francis Alÿs, la foie peu dépasser des montagnes ou - Algunas veces el hacer algo no lleva a nada, l’œuvre elle-même se passe de toute institution seule sa médiation future ou son historicité l’institutionnalise. Au risque de dénaturer l’œuvre par l’institution, se confronte la non « socialisation de l’artiste » sans elle. Refuser l'instrumentalisation des arts par l'Etat, cela consisterait à refuser de laisser l'œuvre devenir un jouet d'animation culturelle, et une pièce dans le jeu de la patrimonialisation du monde.
Rainer Rochlitz explique que l’époque contemporaine tend à institutionnaliser la « révolte » portée par les artistes en faisant coexister subversion et subvention. Les subventions accordées à la création, à l’échelle municipale, régionale, nationale et internationale, se présentent, comme l’équivalent des « acquis sociaux » de l’après-guerre. Ainsi, il apparaît que notre société contemporaine se doit de faire preuve, d’un esprit d’ouverture, de compréhension et de tolérance à l’égard de pratiques artistiques qui mettent en exergue les aspects les plus contestables de la réalité sociale. Il parle d’ « une réhabilitation de la tradition dans le prolongement de pratiques artistiques qui ne cherchaient qu’à les détruire » (1, Rainer ROCHLITZ, Subversion et subvention. Art contemporain et argumentation esthétique, Gallimard, 1994, p. 194). Cette situation institutionnelle limite les possibilités de l’art de se présenter comme un espace d’expériences total, y compris dans des institutions publiques, mais indépendamment de toute allégeance aux « goûts officiels ». Cette prétention des pouvoirs publics à accepter l’anticonformisme de certains artistes, comporte le risque d’une instrumentalisation passant par la neutralisation de toute dimension subversive du fait de l’institutionnalisation ?

Comment, dans quel but, l’institution peut-elle gérer un art dont la fonction à l’origine fut avant tout la subversion des formes anciennes et des codes urbains ? S’agit-il de produire une version édulcorée, de la subversion originelle ? (...) S’agit-il en un mot d’une entreprise de récupération ? ».


On peut répondre que oui. Là réside toute la difficulté pour nous artistes de suivre notre chemin transgressif et résistant en se passant d’une économie proposée à récupérer une plus value spectaculaire et qui souhaite un retour sur investissement (qu’il soit financier, d’image, de respectabilité, d’intelligence…)

Dans ce qui nous occupe on peut considérer trois acteurs : Le premier est l’artiste : dans le champ de l’art contemporain, son acte artistique est souvent une transgression. Ensuite il y a les publics, variés initiés, ou non-initiés. Vient ensuite l’institution, qui elle, ouvre bien souvent ses portes à l’artiste transgresseur autorisant ainsi la transgression. L’attitude de ces trois acteurs aboutit alors à « la permissivité, [définie par Nathalie Heinich comme] l’autorisation des transgressions : en l’occurrence, la transgression des frontières de l’art, de la morale ou de la loi, autorisée par les institutions artistiques». Or, une transgression permise est-elle toujours une transgression ? Comment l’artiste peut-il être «dissensuel» quand c’est précisément ce que les institutions lui demandent ? Il s’agit là du paradoxe permissif qui « consiste à rendre la transgression impossible en l’intégrant dès qu’elle apparaît». La transgression devient alors une nouvelle norme. Ainsi, dans leur quête de transgression, « les artistes ne cherchent pas davantage d’autonomie, n’ont pas intérêt à plus de liberté : ils chercheraient plutôt à rencontrer des contraintes, à contrer des attentes, à toucher des limites » (2, Nathalie Heinich, Le triple jeu de l’art contemporain, Editions de Minuit, 1998).

« Au demeurant, il existe bel et bien des œuvres d'art qui ne se résignent à rien, qui transmuent la mondialisation et notre nouveau rapport à l'histoire en un objet de travail et de critique. Des œuvres qui prennent à leur charge le réseau Internet afin de le mettre au service de la cause artistique, ici et maintenant, et d'un échange avec les "autres" sphères artistiques. Des œuvres qui disposent des relations sociales ordinaires pour mieux les faire valoir. Des œuvres, enfin, qui contribuent à dresser une analytique de la mondialisation ou des œuvres qui résistent aux sollicitations de la World culture (ainsi que l'explique l'article de l'anthropologue Marc Augé, publié dans le catalogue de la Biennale de Lyon, 2000). » (3, Christian Ruby in, La "résistance" dans les arts contemporains »).
Pour notre part nous restons résolue à être présent à la fois au centre et à la périphérie. Exposer dans une galerie, un musée, un centre d’art, une Biennale, et en même temps produire et faire circuler de façon allotopique hors de ces lieux (en périphérie) d’autres propositions plastiques.

« En quoi, tout compte fait, chaque œuvre résiste constamment et effectivement à l'ordre qui la met en place, mais silencieusement. Nous en avons un excellent exemple dans les problèmes soulevés par l'art public, puisque beaucoup d'œuvres sont placées dans les lieux publics seulement à titre de décor (réification?), dans l'univers de la rue qui est soumis à des rationalisations extrêmes (efficacité, voitures, etc.). Et pourtant, beaucoup d'entre elles (sans qu'il s'agisse de toutes) résistent, font de leur côté de la politique, fabriquent de l'hétérogène dans l'uniforme. » (ibid. 3)

Nous aimons donc confronter l'art et l'esprit public, multiplier les relations entre l'un et l'autre, élargir le champ possible de leurs rencontres critiques. Nous interrogeons sur la présence, l’accession et la visibilité de l’art dans et hors les lieux dédiés à l’exposition.

Un nous