A quoi pensez-vous?
(demande faite et publiée par le journal Libération pour le supplément au journal du 1er janvier 2000)


Voici ma contribution a votre proposition


Lundi :
Rien ne me vient à l’esprit me concernant.
Je pense sûrement à quelque chose mais à quoi. C’est le quoi qui pose un petit problème. On verra demain.

Mardi :
J’ai la tête un peu lourde aujourd’hui. Je n’ai pas bien dormi. Pendant les moments de veille nocturne, j’ai pensé à ma mère qui est morte, il y a moins d’un an et à mon fils qui aura 4 ans dans quelques semaines. Ils n’auront vécu sur la même planète ensemble, que quelques mois. Cette pensée m’est assez insupportable.

Mercredi :
Aujourd’hui, « quoi » ne s’éclaircit pas beaucoup. Je ferai un plus grand effort demain. Juste en tête une phrase de Wittgenstein dans « De la certitude » : We are satisfied that the earth is round.

Jeudi :
Cette nuit encore j’ai eu des moments de veille avec un peu plus de lucidité que lundi, mais rien ne concernant le « quoi ».
Aujourd’hui encore tout va se construire autour d’une présence qu’il faudra donner.

Vendredi :
Tout est arrivé au petit matin en vrac: encore ma mère, mon fils, cette phrase que j’ai employée dans mon travail sous forme d’autocollant «
 REMPLIR DES SACS » et puis cette autre phrase « BEWARE ARTISTS WATCH » comme des images mentales et les découverts à la banque.
C’était drôle ce moment en pleine nuit où dans ma tête un homme marchait dans la rue en répétant : remplir des sacs... remplir des sacs... remplir des sacs...
Retour sur la phrase de Wittgenstein, qui devient : « Are we satisfied that the earth is round ? »

Samedi :
Savoir vivre la différence entre personne et personnage et savoir vivre avec quelqu’un que l’on aime tout simplement.
Continuer à développer les
ALLOTOPIES (ne cherchez pas dans le dictionnaire, je pourrais vous envoyer la définition-carte postale). Un espace urbain dans lequel existe des interventions artistiques qui rencontrent politiquement et socialement le monde autrement que ne le fait habituellement l’ART. (Remarque allusive : l’art n’est pas fait seulement par les artistes)

Dimanche :
Grand jour du « quoi », aujourd’hui on pourrait commencer par abolir l’argent puis dire au gens que l’on aime qu’on les aime.
Poursuivre autour du
COPYLEFT (définit dans le monde des informaticiens et d’internet), de l’Art du don , de la gratuité et de l’idée de réseau dans l’art contemporain contemporain (2 fois)
Et aussi
cette photo de Chris Marker prise un jour dans son studio à Neuilly et qui n’existe pas (le film était mal engagé dans l’appareil)

Lundi :
Regretter un jour de ne pas être parti « à la conquête du monde » et pourtant sortir un jour par la porte, car la fenêtre est trop petite.
L’intervalle entre Don Quichotte et moi est intersidérale.
Ce qui me trouble parfois c’est que le fait, le non-fait, le pas fait, le défait ne sont pas si éloignés que ça.

Mardi :
L’avenir devra s’écrire avec des mots comme : désir, écologie, solidarité, anticapitaliste, résistance, plaisir, sexe, amour mais aussi, planter des arbres, faire de bons plats et déguster de bons vins, jouer... Sinon...

J’avais accroché dans ma chambre d’adolescent des posters de Che Guevarra, Bob Dylan, Led Zeppelin et des images de motos, aujourd’hui on trouve pèle mêle un poster « I want to believe » de la série TV X-Files, des articles de journaux, des papiers de chocolats, un portrait de Flat Eric, des dessins de mon fils et un tas de post-it qui tiennent les murs.

Mercredi :
Je me demande pourquoi j’essaye de répondre à cette question, ce que je sais, c’est que j’aurai du plaisir à lire toutes les autres réponses. Depuis trois jours, je ne pense plus vraiment, je pense à penser à cette question : « A quoi pensez-vous ? ».


Jeudi :
Là c’est sûr je ne pense pas, je regarde la télévision.
Je me suis toujours demandé comment se formaient les moutons de poussières sous les meubles et le long des plinthes.

Vendredi :
« Ah ! » ai- je pensé. Cette question ne sert pas à me rapprocher des autres mais à me montrer seul parmi les choses et les mots.
C’est comme cet extrait de poème de P. Handke (dans le non-sens et le bonheur) :
« A peine ai-je des mots pour ce que je perçois – et déjà les mots pour ceci ou cela m’apparaissent de la blague. »
De toute façon, j’essaye depuis longtemps de vivre cette phrase : « Je suis capable de bonheur ».

Samedi :
Ce matin au réveil je me surprend a répéter : «Mais qu’avons nous fait des petites et grandes secousses ?».

Dimanche :
Pour finir vraiment j’adopte cette phrase modifiée de Wittgenstein :

« Are we satisfied that the earth is round ? »



Roberto Martinez